Fruits charnus

Texture des fruits : les contributions des parois cellulaires

La texture des fruits charnus (pommes, tomates…) est un critère de qualité important pour l’ensemble des acteurs de la filière depuis le producteur jusqu’au consommateur. Elle détermine l’aptitude au transport et à la conservation, elle est source d’appréciation ou de rejet par le consommateur et détermine les procédés de transformation. Cette texture résulte d’un ensemble de facteurs associés à la mise en place des tissus et au métabolisme cellulaire en fonction du développement et de la physiologie des fruits.  Du fait de cette dépendance à la biologie et aux conditions environnementales du fruit, ce caractère de qualité est sujet à une grande variabilité qu'il convient de maîtriser pour limiter les pertes, notamment au regard des évolutions climatiques et des modes de production.

Les recherches développées dans l’équipe visent à identifier la contribution des parois cellulaires à différentes échelles à la texture des fruits (propriétés mécaniques) pour aider d’une part, les sélectionneurs à identifier des caractères génétiques favorables pour des textures requises par les différents acteurs de la filière, et d’autre part, pour faciliter le choix de matière première et des procédés par les transformateurs. Ces études impliquent également la recherche de modes d'extractions douces des polymères pariétaux afin d'établir les liens entre leur structure fine et leurs fonctions au niveau des propriétés mécaniques des parois et de la texture des fruits.

Les travaux portent principalement sur la pomme comme modèle de fruits charnus et visent à comprendre les mécanismes structuraux sous-jacents à leurs différentes propriétés mécaniques. Ils s’organisent autour du rôle 1) de l’eau et sa compartimentation dans les tissus, 2) des polysaccharides et particulièrement des hémicelluloses, leurs interactions et distribution dans la paroi, et 3) des ions et des métabolites secondaires sur les propriétés mécaniques des parois lors de la transformation du fruit.

1) Propriétés mécanique de la chair de fruit : rôle de l'eau et des parois cellulaires

 Les propriétés mécaniques de la chair des fruits turgides présentent un caractère visqueux et élastique lors d'une déformation. Le caractère visqueux (facteur de perte) correspond à la capacité de la chair à dissiper l'énergie de déformation en chaleur. Le caractère élastique (module élastique) est relatif à l'énergie de déformation restituée après la déformation et est assimilable à la fermeté du la chair.

L’eau est le premier constituant des fruits charnus avec un contribution entre 85 et 95% du poids des fruits. Sa compartimentation cellulaire et la résistance mécanique des parois sont à l’origine de la pression de turgescence. Cette pression joue le rôle principal dans la fermeté des fruits car sa dé-compartimentation cellulaire par plasmolyse (congélation-décongélation) conduit à une perte majeure de fermeté des fruits. Cette distribution de l'eau a été abordée en lien avec les propriétés mécaniques de la chair de pomme par différentes méthodes de résonance magnétique nucléaire (RMN) pour suivre les différents niveaux d'interaction de l'eau dans la pomme. Le traitement du signal de relaxation RMN de l’eau localisée par imagerie par résonance magnétique (Winisdorffer et al., 2015) ou étudiée dans l'ensemble de l'échantillon par relaxométrie bas-champ (Lahaye et al., 2018) a identifié plusieurs groupes d'eau attribués selon un modèle à différents environnements de l'eau : la vacuole cellulaire (temps de relaxation le plus long), le cytoplasme cellulaire (temps de relaxation intermédiaire) et la paroi (temps de relaxation court). Une relation positive entre le temps de relaxation long et le module élastique, et une relation négative entre la proportion d'eau ayant un temps de relaxation court et le facteur de perte ont été montrées en fonction de variétés de pommes indiquant l'importance de l'eau vacuolaire et de la proportion d'eau au niveau des parois sur les propriétés viscoélastiques de la chair de pomme.

En se focalisant les parois, la dégradation spécifique des pectines, des hémicelluloses et de la cellulose in situ par infusion d'enzymes dans la pomme a montré que ces polysaccharides participent tous à la viscoélasticité de la chair (Videcoq et al., 2017). Cependant, les pectines jouent un rôle prédominant. Parmi les différents domaines structuraux des pectines, ceux comportant des ramifications contribuent positivement à la fermeté de la pomme fraiche mais jouent un rôle opposé chez le fruit plasmolysé. Dans le fruit frais avec des cellules turgides et des parois sous tension (pression de turgescence), les interactions entre les ramifications des pectines avec d'autres partenaires pariétaux (cellulose…) réguleraient les réorganisations pariétales lors d’une déformation mécanique. A l’inverse, la présence de ces structures dans les parois de cellules plasmolysées perturberaient la contribution des fibres cellulosiques aux propriétés mécaniques (Lahaye et al., 2018).

L’hydratation des pectines au sein des parois ainsi que leur distribution entre les fibres cellulosiques jouent également un rôle dans la fermeté des fruits. Des techniques de RMN du solide réalisées sur des parois de pommes ont montré que plus ces pectines sont hydratées dans un réseau de fibres de cellulose dispersé, plus le fruit est ferme (Lahaye et al., 2020). Il en résulte que non seulement la nature des polysaccharides et leurs interactions contrôleraient les propriétés viscoélastiques de la chair mais également leur distribution au sein des parois.

2) Quels rôles jouent les hémicelluloses dans les propriétés mécaniques des parois ?

Les hémicelluloses regroupent de trois familles de polysacccharides complexes : xyloglucane (XyG), galactoglucomannane (GgM) et glucuronoarabinoxylane (GaX). Elles sont connues pour interagir avec la cellulose via des liaisons hydrogènes. Ces hémicelluloses montrent une grande variabilité structurale lors du développement du fruit et en lien avec sa génétique (Guillon et al. 2017; Minoia et al., 2016; Dheilly et al., 2016; Lahaye et al., 2014;Lahaye et al., 2012a; Lahaye et al., 2012b; Galvez-Lopez et al., 2011). Cependant, le rôle de cette variabilité reste inconnu notamment sur les propriétés mécaniques des parois et des tissus. La synthèse de la faible proportion de GgM et ses modifications intervenant lors de phases précoces de développement de la pomme avec l’expression de gènes codant des mannane-synthases et glucanases (Dheilly et al., 2016) posent question vis-à-vis de leurs rôles dans l’évolution des propriétés mécaniques des parois et de la perception de textures contrastées. Cette synthèse précoce et la remobilisation des GgM ne se limitent pas à la pomme mais sont également retrouvées chez un autre membre de la famille des Rosacées, la cerise, ouvrant la question de la généricité de cette étape dans le développement des fruits et sa fonction au moment de l'initiation de l'expansion cellulaire. Ces résultats indiquent que la dépendance génétique de la texture ne se révèle pas seulement au moment de maturation des fruits mais dès les phases précoces de leur développement.

 Pour aborder des études sur les relations entre la structure fine des hémicelluloses et leur fonction sur les propriétés mécaniques des parois, des travaux ont été initiés pour extraire des hémicelluloses dans leur état « natif » à partir de tomate et de pomme (Ray et al., 2014; Assor et al., 2013). Contrairement aux méthodes classiques utilisant des extractions alcalines, le solvant basé sur le diméthyle sulfoxide combiné au chlorure de lithium permet la conservation des groupements acétyle ester au sein de ces hémicelluloses.  Ces groupements jouent un rôle clé dans la conformation des molécules et dans les interactions avec la cellulose en système modèle (Jaafar et al., 2019).

Cependant, l’extension de ces travaux aux différentes familles d’hémicelluloses et au rôle de leur variabilité structurale fine à amener à réévaluer leur obtention qui nécessite en préalable l’extraction des pectines. Des travaux ont débuté pour évaluer l’apport de nouveaux solvants s’inscrivant dans les principes de la chimie verte. Différents solvants eutectiques naturels ont montré leur efficacité pour faciliter l’extraction des pectines (Chen & Lahaye 2021; Chen et al., 2021) à partir de marcs de pomme. L’obtention d'hémicelluloses et de cellulose par des approches analogues est en cours d'étude.

3) Propriétés mécaniques des fruits et procédés de transformation

 Les propriétés mécaniques des parois cellulaires évoluent tout au long du développement des fruits par l'action de diverses classes de protéines et enzymes sur la structure et les interactions entre les polysaccharides pariétaux. Cependant, des phénomènes d'oxydation sont potentiellement induits lorsque le fruit est déstructuré mécaniquement avec la mise en présence des composés initialement compartimentés dans la cellule. C'est le cas notamment lors de l'étape du râpage dans le pressage de la pomme qui libère et expose à l'oxygène de l'air des ions métalliques à l'état de trace (fer, cuivre), des composés phénoliques et les parois cellulaires. L'étude de la distribution des ions métalliques et des composés phénoliques contenus dans la pomme a montré une variabilité liée à la génétique mais également à l'année de récolte (Vidot et al. 2019, 2020a). Cette variabilité pourrait être déterminante sur l'aptitude au pressage d'une récolte à l'autre puisqu'une variation en teneur en fer peut transformer en système modèle des composés phénoliques en agents anti- ou pro-oxydants des pectines (Vidot et al., 2020b). Une telle dégradation des pectines aurait comme conséquence une modification des propriétés mécaniques du mou de pomme et une plus faible disponibilité du jus.

Date de modification : 10 novembre 2021 | Date de création : 04 novembre 2021 | Rédaction : R. Sibout